Les seules nuits, où je ne travaillais pas, étaient également les seules nuits où je ne me reposais pas. À force d'accumuler du sommeil, je finirais bien par m'écrouler un jour ou l'autre. Finir ses soirées, enfermé à l'intérieur, à regarder un film à l'eau de rose tout en bouffant de la glace ? Très peu pour moi. Non pas que je ne le faisais jamais. Je le tournais juste à ma manière. Pas très orthodoxe, malheureusement, pour ce cher modération. Je préférais passer la plupart de mon temps dehors, à fréquenter des gens que je ne connaissais pas. Et qui ne donnaient pas envie qu'on s'intéresse un tant soit peu à eux. Et cette règle, ma règle, s'appliquait à tous. De la gamine ayant fugué de chez elle au drogué plein au as. Et c'était ce genre de personnes que je rencontrais, non pas un soir mais tous les soirs. Dans la rue ou dans le bar où je travaillais. La vie était une chienne, et chacun choisissait sa catégorie. Soit on la dresse, soit on se fait dresser. Mon choix était déjà fait. Me faire marcher sur les pieds ne faisait pas parti de mon caractère. Je n'aimais pas ça. Soupirant, je me demandais ce qui me plaisait de toute façon... Je m'étais imaginée plus d'une fois vivre autrement. Tel qu'habiter dans un appartement dans le centre. Prendre la voiture tous les matins, après avoir prit un petit-déjeuner au lit avec l'homme de mes rêves. Et non pas marcher tous les soirs, ou prendre le tram, en avalant un jus de chaussettes. Gagner un salaire convenable. Pas une misère me forçant à serrer la ceinture. Et vivre ainsi pendant plus de quarante ans. En clair, au lieu de crever d'un cancer des poumons, mourir étouffé par la routine. Même si ça ma vie n'était pas un rêve, la fonction de survie était plus attrayante que celle de me faire manger dans la main.

Alors, je me retrouvais à flâner le long des rues. Tournant au hasard. Marchant là où mes pieds avaient envie de me conduire. Je n'observais même pas les alentours. Ne m'inquiétant même pas de savoir si quelqu'un pouvait me suivre ou si je ne risquais pas de me perdre. Mais se perdre dans une aussi grande ville était un euphémisme. Ou pire, me faire tuer parce que ma tête ne revenait pas à la mémoire de mon agresseur. Finalement, je me retrouvais au même endroit habituel. Toujours les mêmes têtes à cette fontaine. Je ne comptais plus le nombre de fois où je m'y étais rendue. Je tirais sur ma cigarette, puis je m'installais au bord de la fontaine. J'avais froid. Et encore, j'allais en m'améliorant. De toutes les fois où je m'étais retrouvé ici, j'avais fini au poste plus d'une fois. Soit on m'accusait d'être une dealer, ou alors j'étais rangée dans la catégorie prostituée. D'accord, la jupe était plutôt courte et dire autant de fois « Fuck » au flic ne m'avait pas franchement aidé. Ce soir, j'avais fait l'effort de porter un slim et une veste. Je m'éloignais un peu plus du groupe. D'ailleurs, j'apercevais de nouvelles têtes. Tout en tirant sur ma cigarette, et expirant la fumée, je repérais une fillette qui devait avoir treize, voir quatorze ans. Et un junky qui devait chercher sa dose sans savoir comment s'y prendre.

Je souriais toute seule, dans mon coin. Un homme me proposa de boire un coup. Je refusais en levant le doigt. Pas très poli comme geste, je sais. La politesse n'était pas mon fort. Il haussa les épaules et vida le contenu. Manquerait plus qu'il ait glissé une substance dedans et que je me réveille dans un endroit que je ne connaissais pas. Je renversais la tête en arrière, pour observer le ciel. Vu d'ici, en ville, le ciel n'était pas des plus resplendissants. À la campagne, là on pouvait admirer ! Je me perdais dans mes pensées. Bannissant hors de ma tête les bruits de la ville, Les grognements et autres bruits insignifiants. Je détournais la tête de ce spectacle fort ennuyeux pour observer une ombre se détacher le long des murs. Je fronçais les sourcils en reconnaissant la tête qui s'éclairait sous les lampadaires. J'écrasais ma cigarette au rebord de la fontaine avant de la jeter dans la flotte. Je me rapprochais du jeune homme. Michaël. Ce mec était un véritable chewing-gum ! Il émanait de lui un côté protecteur que je ne supportais pas. J'allais à sa rencontre. Bien qu'il me dépasse bien d'une tête, voir deux – comme la plupart des personnes sur mon passage – j'avais toujours ce côté teigneux dans ma voix.

Qu'est-c'que tu viens foutre ici ? À moins que ce ne soit pour ta dose, ce qui m'étonnerait, lançais-je en allumant une nouvelle cigarette, tu devrais mieux dégager tes fesses d'ici.

C'était tout moi de donner des ordres. Simplement, je n'aimais pas les sourires qui naissaient sur les lèvres du jeune homme à chaque fois que je lui parlais. À croire que tout cela l'amusait. Si j'étais ici, ce n'était pas pour broyer du noir mais pour échapper à la folie de la ville. Ou encore, à la crasse de mon appartement.